14 septembre 2013

Bestiaire

Auteur : Éric Dupont
Titre : Bestiaire
Éditeur : Marchand de feuilles
Parution : 2008 (réédition 2013)
Format : 310 pages



Résumé :

De 1976 à 1986, le petit Éric évoque son milieu familial et social, dans la région du Bas Saint-Laurent, à travers le filtre de son imagination. Suite au divorce de ses parents, Éric doit changer de ville, accompagné de sa soeur, seule alliée devant ce déracinement précipité, déchirant.

Dès lors, son père prend les traits du roi Henri VIII, multipliant les épouses et les restrictions de la cour. Le plus important d'entre eux demeure l'interdiction de prononcer le nom de leur mère : Micheline Raymond, cuisinière de métier. Cette femme chaleureuse, au rire inoubliable, revient régulièrement dans les souvenirs du jeune garçon, aussi peuplés d'animaux emblématiques.

Rusé, s'adaptant à des déménagements répétés, Éric raconte la cruauté de ses camarades de classe, son goût pour la lecture et son désir de voler de ses propres ailes. L'auteur aborde également le contexte historique d'un Québec secoué par la Révolution Tranquille. Le tout, narré avec beaucoup d'humour, de fantaisie et de lucidité.

Ce que j'ai aimé :

-Savoureux, touchant, fabuleux ! Ce roman m'a enchantée dès la première ligne et m'a procuré un bonheur de lecture immense. Je reste éblouie devant le talent d'Éric Dupont de combiner la fable, la satire politique et le monde de l'enfance. Cette alliance m'a conquise, car elle concerne autant l'intelligence, la sensibilité de l'émotion que la mémoire collective. De plus, lors de la réédition en format de poche, les éditions Marchand de feuilles ont fabriqué un bel écrin aux coins arrondis, à la couverture douce et magnifique, auquel il est presque impossible de résister.

-Semblable à Jean de La Fontaine, Éric Dupont utilise la fable pour contourner la censure et l'interdit, faire rire et véhiculer un message. Dans un chapitre intitulé Les poules, il fait un parallèle entre la hiérarchie des coups de bec dans une basse-cour et l'intimidation entre élèves dans un milieu scolaire. En évoquant Le vacher à tête brune, un oiseau migrateur pondant ses oeufs dans le nid d'autres espèces, le romancier dresse une similitude avec les enfants du divorce, sujets à des déplacements fréquents et devant s'adapter à une nouvelle dynamique familiale. Par exemple, la belle-mère joue un rôle important, drôlement royal, se voyant attribué le titre d'Anne Boleyn, deuxième épouse du roi Henri VIII. Bref, chaque entité du bestiaire porte une signification, créant un récit débordant d'allusions.

-Nous retrouvons aussi plusieurs éléments ayant marqués la société québécoise de l'époque. Le référendum de 1980 et le mouvement souverainiste, la religion catholique en mutation, les Jeux olympiques de 1976 et la gymnaste Nadia Comaneci, la loi 101 et les chansons d'Harmonium. Il situe le Québec dans un contexte mondial, abordant le règne de Margaret Thatcher en Angleterre et la situation en URSS. Cela amène une trame intéressante, finement imbriquée dans cette fresque de l'intime, de la mémoire à une échelle personnelle.

-Bien sûr, outre l'aspect historique, j'ai craqué pour l'imaginaire du gamin. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce narrateur enfant est loin d'être naïf. Éric s'exprime avec érudition et aplomb, comme un petit empereur. Ses histoires apportent une touche légère, espiègle, à une réalité plutôt lourde. L'écrivain possède un talent de conteur éclatant, qui nous entraîne dans une dimension fantastique, où les animaux peuvent parler : d'un hibou appréciant Baudelaire à un petit chien, tout droit sorti d'un timbre roumain. Tout simplement merveilleux !

Extrait favori :

« L'arrivée dans la maison de mes grands-parents prenait l'allure de retrouvailles acadiennes. Ce n'étaient que cris de joie, embrassades mouillées et étincelles dans les yeux. Ma grand-mère, celle qui rachetait d'un sourire toutes les iniquités humaines, celle que sans la moindre hésitation j'aurais pointé du doigt si des extraterrestres m'avait enlevé et demandé quel être humain devait m'accompagner sur la planète Sérénité, celle qui des années durant m'a couvert les doigts de lainages pendant nos hivers rudes, nous attendait dans une maison si propre qu'elle en faisait l'envie d'Anne Boleyn. S'il est vrai que la propreté est proche de la sainteté, la maison de ma grand-mère devait être l'antichambre du Vatican. Quand elle cessait de s'activer pour s'asseoir enfin dans sa chaise berceuse, on pouvait, en plissant les yeux, voir graviter autour de sa tête des particules de bonté. »

Lu dans le cadre de Québec en septembre


4 commentaires:

  1. Pourquoi pas ? Ton enthousiasme est communicatif !!! :-) Merci pour cette suggestion.

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    1. De rien, Fondant ! J'espère que tu tomberas aussi sous le charme de ce roman, qui fait maintenant partie de mes livres chouchou :)

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  2. Il est dans ma pile à lire! En fait c'est le seul que je n'ai pas lu. Je croyais avoir tout lu Eric Dupont, mais j'ai réalisé qu'il me manquait celui-là!
    Un coup de cœur en plus, c'est tentant! :D

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    1. Celui-là a un petit côté fantastique, vraiment amusant ! Je crois qu'il te plaira :)

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