22 janvier 2014

Les Laissés Pour Contes : édition 2014

Depuis toujours, le conte oral a véhiculé des valeurs relativement dissidentes, illustrant le rapport entre les puissants et les démunis. Le conte de création contemporain poursuit cette parole engagée, en se servant de la réalité urbaine pour aborder les enjeux de notre société. L'édition 2014 des Laissés Pour Contes, un collectif sondant les territoires inexplorés du conte urbain, en offre un exemple frappant.

© Patrice Tremblay
Réunis autour du thème de la convoitise, les créateurs de cette soirée visitent les insidieux chemins du désir et de l'envie, où des êtres en recherche d'affection sont confrontés à leur appétit sans fin.

Martin Vaillancourt ouvre le bal avec Le premier de la première, un texte signé Paul Bradley, mettant en lumière le rapport de force entre un acteur et son public. Il nous raconte cette fois où il s'est abstenu d'applaudir, créant un malaise grandissant lors d'une première de spectacle. Habilement, il nous fait ressentir sa hantise d'avoir trahi ses pairs, sachant le besoin d'approbation de ses amis comédiens. Emporté par son obsession, il nous demande de faire de même à la fin de sa prestation - soit de le laisser quitter la scène en silence -, nous plaçant dans une situation ambivalente qui expose toute la puissance de cet effet miroir.

Dans La force de courir après toi, la comédienne Catherine Dumas, véritable bombe d'énergie, interprète la vision de Simon Boulerice. Bien décidée à vaincre une horde de mannequins russes courant en talons hauts, la jeune amoureuse atteint le fil d'arrivée, exténuée, enragée. Elle repense à l'objet de ses soupirs, l'homme pour qui elle aurait sacrifié son mollet afin de gagner de la « guenille » haute couture ; l'homme qui a choisi une fille plus blonde, plus glamour.

© Patrice Tremblay
Avec un naturel désarmant, Antoine Touchette nous transporte dans l'univers de La pleureuse, imaginé par Véronique Pascal. Du coin de l'oeil, il nous fait entrevoir son reflet dans le miroir d'une coiffeuse de star. Maquilleur pour la télévision, ce grand romantique collectionne les aventures avec les beaux gosses de la métropole. Supporté par un texte succulent, Antoine Touchette entretient une complicité ludique avec son public, jusqu'à nous faire chavirer avec lui dans une prise de conscience très touchante.

Marie-Michèle Boutet, troublante dans Fait divers_Blanche de Jocelyn Roy, montre la réalité d'une jeune femme d'Hochelaga-Maisonneuve qui souhaite se faire remarquer pour autre chose que son poids. Désir de briller, de passer à la télé, de chanter comme Céline Dion. Son rêve, presque trop grand pour elle, lui fera accepter un amour de deuxième classe et la poussera à la vengeance, lors d'une finale percutante.

© Patrice Tremblay
Dans Parents-Secours de Pierre Chamberland, Pascale Tremblay nous livre une interprétation sensible d'une trentenaire, un peu garçon manqué, caressant de loin cette idée d'être mère. La comédienne a remarquablement apprivoisé les silences que propose ce texte. Avec assurance, elle fait naître des images poétiques, flottantes, jonglant avec les doutes de son personnage.

L'ensemble des contes démontre une belle unité, malgré la diversité des problématiques soulevées. La transition entre les histoires est rendue fluide grâce à un brillant jeu d'éclairage. Celui-ci enveloppe les comédiens, créant une bulle de chaleur dans le vaste espace. Les Laissés Pour Contes nous fait vivre un moment hors du temps, où la relation entre les conteurs et le public reste palpable, et où les réflexions demeurent nécessaires. Vivement la prochaine édition !

Les Laissés Pour Contesmise en scène de Pierre Chamberland. Aux Ateliers Jean-Brillant jusqu'au 26 janvier 2014.

2 commentaires: