9 février 2014

La Ville : dystopie intérieure

© Caroline Laberge
Ils sont deux. Elle et lui. Figés comme des pantins sans âme. Dans un décor gris et froid. Il vient de perdre son emploi. Elle traduit sans conviction. Ils ne se parlent plus vraiment, se touchent à peine. Assujettis aux lois du marché, soumis à la vacuité.

Écrite par le dramaturge britannique Martin Crimp et traduite par Philippe Djian, La Ville investit la mécanique sournoise de notre société actuelle, capitaliste et compétitive, en lui alliant une ambiance moderne et anonyme rappelant la science-fiction.

« Tu dois imposer ta volonté, ou bien tu seras éjecté. Tu seras éjecté par la baie vitrée avant même d'avoir installé nos photos sur ton bureau. Parce que le monde a changé [...], et tu vas devoir être beaucoup plus fort que ça. »

Avec des propos absurdes et décalés, non dénués d'un fin humour noir, cette pièce rend compte de l'impossibilité d'atteindre un idéal, que ce soit l'utopie de l'amour, de l'écriture ou de la réussite sociale. Soutenus par une mise en scène très précise de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, Sophie Cadieux (altière dans son rôle de Clair) et Alexis Martin (incarnant son mari désabusé) entretiennent des dialogues sans issue, autant de ruelles, de méandres labyrinthiques.

Leur relation gagne en étrangeté lorsqu'une voisine infirmière (Évelyne Rompré) - insomniaque et instable depuis que son mari est parti à la guerre - se plaint du bruit causé par les enfants dans la cour. Se superposent alors des images de carnages militaires et de gamins enfermés dans une pièce. Un danger malsain flotte dans l'air. Est-ce la réalité ou les chimères d'un couple au bord de l'épuisement ?

La conclusion, surprenante et visuellement magnifique, nous apporte une réponse qui éclaire tout ce qui a précédé. La forme très littéraire, telle une partition rythmique étudiée, s'explique alors d'elle-même. Nous sortons de la salle emplis d'une réflexion sur l'écriture et éblouis par cette mise en abyme vertigineuse.



La Ville. Texte de Martin Crimp. Mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin. À l'Espace Go jusqu'au 22 février 2014.

2 commentaires:

  1. Saperlipopette ! Parfois, je regrette un peu (mais pas longtemps, je suis si bien dans ma forêt ! :-) ) de ne pas être à Montréal. Sais-tu si le texte de la pièce est disponible ? Merci Topi pour cet excellent billet !

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    1. La pièce est publiée chez L'Arche Éditeur et je crois que tu peux la commander en ligne à la librairie Gallimard de Montréal. C'est un texte implacable, mais fort intéressant ! Merci pour ta visite et je te comprends d'aimer ta forêt :)

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