28 novembre 2014

Mot

Auteur : Julie Hétu
Titre : Mot
Éditeur : Triptyque
Parution : 2014
Format : 204 pages

Résumé :

Débutant en 1966 dans un Liban en crise, Mot nous transporte jusqu'en Syrie, puis nous fait sillonner plusieurs villes d'Espagne : Alcúdia, Barcelone, Madrid, pour rejoindre l'époque actuelle. Nous suivons Anat et sa fille Cybèle, ainsi que les descendants de cette dernière, Elmihra et Mot, dans une fresque tragique. Le fil rouge reliant les destins de cette famille s'articule autour de la tauromachie. En fait, cette pratique servira d'allégorie pour aborder une multitude de thèmes universels : la vie et la mort, l'art et les mythes, la passion et le sacrifice. Sensuel, fougueux, ce roman surprend autant par sa force de caractère que par son érudition subtile.

Ce que j'ai aimé :

Après ...avec usure (2005), un roman hybride avec DVD, et Baie Déception (2009), un livre audio sur le Nord québécois, Julie Hétu s'est inspirée d'un long voyage en Espagne pour nourrir la fiction de Mot. On y retrouve une réflexion particulièrement riche sur la culture taurine, qui s'intéresse au mythe de Mithra, aux peintures tauromachiques de Picasso, à La solitude sonore du toreo de José Bergamin ou aux palmas du flamenco. L'art de toréer s'amalgame avec l'envoûtement de la danse, le rythme du temps. L'écrivaine sonde en parallèle les mystères de la filiation. Les gouttes de sang versé par les siens se mêlent avec les taches de peinture, alors que Cybèle entreprend des études de beaux-arts. Au coeur d'un tourbillon rapide, on a l'impression que des yeux nous fixent, aussi déterminés et fonceurs que l'oeil rouge du taureau. L'engagement politique du père, la carrière de matador de la fille, tous deux sont mués par une passion qui se vit jusqu'au bout, qui ondule avec la mort. On croise aussi des femmes courageuses, libres et nomades.

Oscillant entre ombre et lumière, violence et paysages de bord de mer, Mot dépeint un monde dans lequel l'amour pousse à travers les ronces, fréquemment déraciné, soumis aux épreuves. Telle une fleur du désert, agitée par les tempêtes de sable. De par sa cadence effrénée, cette histoire nous ébranle, comme une épée en plein coeur. Si certaines ellipses temporelles peuvent déconcerter, si l'on devra accepter de laisser quelques personnages en plan, on retombera diligemment sur nos pieds, ébahis par cette poussière dorée, par le triomphe de la vie sur l'adversité. Au final, on saluera l'audace de l'auteure qui sort des sentiers battus, la qualité de son écriture et de ses recherches, qui plairont assurément à tous les amateurs de voyage, d'histoire de l'art et de mythologie ancienne.

Extraits favoris :

« J'ai cueilli quelques cerises pour les manger et j'ai mis les noyaux dans ma poche, j'étais incapable de les jeter. Tout ce qui possédait même la plus infime parcelle de poésie, était devenu trop précieux pour que je puisse m'en défaire. »

« Comme elle l'avait imaginé, le bleu du ciel dominait le sable déposé là, comme un rude tapis de poussière cerclée de rouge et de petits visages brodés. Elle se tenait, seule, devant la foule dans son habit de lumière. À l'intérieur de ce lieu magnifique, et en écho à la fanfare, il y avait la douce musique de l'attente, le Tacaneo, une musique qu'elle était la seule à entendre. Elle venait du crissement sous ses pieds des grains de sable, tremblant les uns contre les autres en attendant la bête. »

Picasso - La mort de la femme torera

2 commentaires:

  1. Ce livre t'a vraiment inspirée les mots pour le dire. Ton texte est enchanteur, il dégage un parfum de poésie que l'on respire à fond et qui chatouille notre narine pour longtemps.

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    1. Merci Venise ! J'ai voulu transmettre les images que ce livre a fait naître en moi, grâce au talent de Julie Hétu. Tes mots me font bien plaisir :)

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