17 décembre 2014

Ma vie rouge Kubrick

Auteur : Simon Roy
Titre : Ma vie rouge Kubrick
Éditeur : Boréal
Parution : 2014
Format : 176 pages


Résumé :

À chaque rentrée littéraire, il y a toujours un livre auquel on ne s’attend pas et qui nous renverse complètement. Cet automne, Ma vie rouge Kubrick a été cette petite bombe pour moi. Cet ouvrage m’a d’abord attirée, puisqu’il comporte une analyse cinématographique du film The Shining de Stanley Kubrick. J’étais loin de me douter que ce texte, à mi-chemin entre l’essai et le roman, me remuerait autant. En mêlant fiction et réalité, Simon Roy a réalisé un véritable tour de force.

Ce que j'ai aimé :

L’image du labyrinthe demeure primordiale dans ce roman. En explorant les couloirs tortueux de l’hôtel Overlook, Simon Roy en vient à sonder ses propres dédales intérieurs. Alors que, dans la scène finale du film, l’enfant retrouve sa mère à l’issue du labyrinthe végétal, l’écriture conduit l’auteur dans les profondeurs de son histoire familiale et lui permet de rejoindre en quelque sorte l’épicentre de sa mère, laquelle s’est suicidée quelques mois auparavant. S’il ne peut la ramener à la vie, il tentera toutefois de se rapprocher de sa vérité, de comprendre comment cette femme a été fragilisée dans son enfance, par le virus insidieux de la violence et de la folie. Sans aucun sensationnalisme, Simon Roy nous accompagne vers le cœur caché de sa généalogie, et il le fait avec beaucoup de tendresse et de sincérité.

Les méandres se retrouvent également dans la structure entrelacée du récit, alors que l’écrivain tisse de multiples liens entre des anecdotes entourant The Shining, le roman de Stephen King dont le film est issu et les fragments de son propre passé personnel. Le défi, en assemblant ces 52 courts chapitres d’environ trois pages, consiste à ne pas y perdre le lecteur. Il s’agit d’un pari réussi, puisque ce montage nous happe dans sa spirale, de la première ligne jusqu’à la toute fin.

D’ailleurs, Simon Roy a utilisé la mise en abyme, un procédé récursif qui rappelle la figure de la spirale. Par exemple, il révèle avoir visionné son œuvre fétiche 42 fois, traçant un parallèle avec l’obsession de Kubrick pour ce chiffre durant le tournage. De plus, il s’observe en train d’écrire et fait référence au roman élaboré par Jack Torrance à l’écran. La forme rejoint le fond, d’une manière brillante, complexe et puissante.

Simon Roy maîtrise son sujet d’étude filmique, mais il possède également un talent de conteur. Il s’ouvre à nous, se confie et nous rend actif dans la reconstruction du récit. Pourtant, les faits qu’il nous raconte demeurent d’une cruauté sans nom. Comment parvient-il à nous retenir captif de sa prose, sans qu’on ne s’y brûle les ailes comme Icare ? Tel un habile réalisateur, l’auteur a penché pour l’esthétisation de la douleur, afin qu’elle soit envisageable pour lui et pour le lecteur. Certaines scènes prennent une dimension cinématographique, donnant une part de beauté rédemptrice à la tragédie. 

Ma vie rouge Kubrick propose une réflexion sur la transmission, le processus de création et l’effet que l’art peut avoir sur nous. Il s’agit certainement du roman le plus prenant que j’ai lu cette année. C’est un livre intelligent, rempli d’une telle franchise et d’un tel amour filial, que je le considère digne d’un Oscar.

Entrevue avec Simon Roy sur La Fabrique culturelle

Extrait favori :

« Esthétiser la souffrance pour ne pas avoir à regarder l'horreur dans les yeux. Passer au crible, décanter, filtrer. Et, comme Danny Torrance, ruser à mon tour. Esthétiser la souffrance pour faire ricocher l'impact en mettant entre l'horreur réelle et mon esprit tenaillé un film de cent quarante six-minutes, question de lui faire absorber le plus brutal du choc. Maman aurait peut-être bien dû elle aussi trouver refuge dans une œuvre tampon plutôt que de se laisser envahir par le lierre vigoureux de ses souvenirs mauvais. »

Lu dans le cadre de La recrue du mois


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